Victimes de scandales sanitaires : pour un réel fonds d’indemnisation
Une dizaine d’organisations de victimes de scandales sanitaires, soutenues par des syndicats de l’industrie pharmaceutique et des associations travaillant sur le médicament comme bien public, appellent, dans le cadre des débats sur le financement de la Sécurité sociale, à un fonds d’indemnisation réactif et respectueux des personnes. L’association E3M, qui rassemble des personnes atteintes de myofasciite à macrophages, est signataire de cette tribune.
Nos associations ont toutes en commun de regrouper des victimes d’accidents graves de médicaments – reconnus dans certains cas comme « aléas », car la balance bénéfice/risque est jugée positive ; d’autres fois comme « scandales sanitaires », où le maintien du médicament ou produit de santé relève de la faute.
Les « patients-victimes », qui passent souvent par une période plus ou moins longue d’errance médicale, doivent alors se battre, vaincre leur isolement, obtenir la reconnaissance de sa réalité par l’institution médicale ainsi que des politiques, très enclins à relativiser la situation et à discréditer la parole des premiers concernés. Ces victimes doivent aussi lutter pour que l’on recherche les causes de ces accidents, que l’on fasse cesser au plus vite l’exposition de nouveaux patients à des thérapeutiques censées nous soigner mais susceptibles de nous rendre malades, voire de tuer. Et enfin, que l’on détermine les responsabilités, que l’on indemnise les victimes et que l’on sanctionne les coupables. L’indemnisation est en soi, une épreuve : il faut d’abord constituer son dossier médical, puis le confier à un avocat pour étude et passer une expertise payante. Pour les femmes, victimes « d’Essure® », un dispositif de stérilisation tubaire, cela revient à une provision de 3.000 euros en moyenne pour accéder à une expertise médicale.
Lorsque l’accident est considéré comme un aléa, c’est l’ONIAM qui est censé indemniser les victimes pour des montants insultants et en faisant barrage aux victimes. Ainsi, moins de 3% des victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson sont indemnisées alors que 80% ont une cause médicamenteuse avérée.
La répétition de tels scandales sanitaires et des mêmes dysfonctionnements le prouve : l’ensemble du système reste défaillant.
Comment se satisfaire de ce que le procès du Médiator ne s’ouvre que dix ans après la révélation du scandale et cinq ans après la mort du patron de Servier ? Lenteur d’une Justice qui n’a pas les moyens de faire correctement son travail, multiplication de manœuvres procédurales de la défense, difficulté d’une « charge de la preuve » qui incombe aux victimes (à qui on refuse souvent de reconnaître ce statut) et à leurs associations, énorme disparité de moyens entre elles et les industriels, etc : tout cela vise à dissuader de nombreuses victimes de porter plainte, et trop souvent leur décès survient avant même la fin des procédures.
C’est la conscience qu’au-delà de chaque « affaire » spécifique les problématiques sont les mêmes qui nous a conduit à nous unir pour réclamer un nouveau système. Cela commence par la reconnaissance, symbolique et matérielle, des victimes pour les aider à faire face aux innombrables difficultés quotidiennes qu’elles, et leurs familles, rencontrent. Et pour cela il faut réformer en profondeur tout le dispositif d’indemnisation. L’occasion nous en est donnée avec le prochain débat sur le Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. Les enjeux budgétaires sont au cœur de ce texte et la réforme d’une indemnisation unique, respectueuse des victimes et plus réactive y a toute sa place.
Le sujet pose immédiatement la question du financement, qui est au fond le premier argument opposé à toute réforme pour une plus grande sécurité sanitaire et une meilleure reconnaissance des victimes et des responsables, nous rappelant sans cesse que, pour l’industrie ou nos politiques, nos vies sont avant tout des coûts dans un budget. Il faut inverser cette logique qui privatise les profits et rend publiques les dépenses et les indemnisations : c’est à l’industrie pharmaceutique de payer.
Or, la France a elle-même posé les bases d’une solution globale permettant de rééquilibrer le rapport de forces. En mai dernier, elle s’est engagée auprès de l’Assemblée mondiale de la santé (AMS, qui est l’assemblée générale de l’OMS) à assurer la transparence dans les politiques du médicament, ce qui inclut autant la garantie d’une meilleure sécurité sanitaire qu’une information fiable sur la pertinence des prix imposés par l’industrie pharmaceutique.
La privatisation croissante de la santé et du médicament a eu pour effet une explosion des prix, que notre système de santé ne peut plus soutenir. En 2014, les nouveaux traitements de l’hépatite C ont été mis sur le marché autour de 50 000 €. L’achat par l’Assurance maladie de ce traitement pour l’ensemble des personnes touchées par l’hépatite C en France en 2014 aurait représenté 13 milliards d’€, soit presque deux fois le budget total de l’AP-HP en 2014 (7 milliards d’euros) !
La multiplication des scandales sanitaires montre que cette privatisation n’a pas amélioré la sécurité sanitaire, au contraire. Comment accepter que la Sécurité sociale paie au prix fort des médicaments à des prix dépassant de façon colossale les coûts réels, et dont la recherche et le développement ont souvent été soutenus par des fonds publics ? En 2019, le prix du Zolgensma, développé en partie grâce à l’argent du Téléthon, donc de dons défiscalisés, a été proposé par la firme Novartis à 2,1 millions d’euros par injection ! Et comment accepter les profits exorbitants des actionnaires de l’industrie pharmaceutique quand leur logique de rentabilité nous met en danger, et quand ils refusent de nous reconnaitre comme victimes ?
Servier exige que l’Etat rembourse 30 % des indemnités que le laboratoire a commencé à verser aux victimes du Mediator. Sanofi refuse d’indemniser les victimes de la Dépakine. Pourtant, Sanofi, en 2017, c’est 8,3 milliards d’€ de bénéfices et 4,6 de dividendes. Depuis 10 ans, Sanofi, comme tant d’autres industries qui justifient les prix par les risques financiers qu’elle prend, reçoit entre 110 et 150 millions d’euros par an d’aides publiques via le crédit d’impôt, sans compter les autres financements publics qu’elle reçoit.
En tenant son engagement à l’AMS, la France permettrait de documenter la légitimité des prix des médicaments. Elle ouvrirait la voie à une réforme de la politique tarifaire, une baisse drastique des prix et permettrait de dégager des bénéfices immenses, qui pourraient être affectés à un fonds d’indemnisation permanent, à des moyens supplémentaires pour la justice mais aussi, en amont, de financer une recherche publique indépendante de penser et créer un nouveau système de santé, orienté et contrôlé par les patients, les médecins, les salariés du secteur, pour que la population cesse d’être une victime paradoxale de la santé publique. Cela sera possible si nous sortons la santé des logiques marchandes qui nous tuent.
Signataires
AFMT (Association Française des Malades de la Thyroïde), AMALYSTE (Association des victimes des syndromes de Lyell et de Stevens-Johnson), AMAVEA (Association Méningiome dus à l’Acétate de cyprotérone, aide aux Victimes Et prise en compte des Autres molécules), APESAC (Aides aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsant), ARCASIM (Aide à la Recherche des Conséquences de l’Adjuvant Silicone dans les Implants Mammaires), AV5FU (Association francophone de défense des Victimes du 5FU et analogues présentant un déficit en DPD), AVEC (Association d’Aide aux Victimes d’Endoxan Cyclophosphamide), AVFIN (Association des Victimes du Finastéride), E3M (Entraide aux Malades de Myofasciite à Macrophages), France MCS (Collectif associatif du Syndrome d’Hypersensibilité Chimique Multiple), NAMD (Non au Mercure Dentaire), R.E.S.I.S.T (Réseau d’Entraide Soutien et Information sur la Stérilisation Tubaire), Réseau D.E.S France (Association regroupant des personnes concernées par le Distilbène), Revav (Réseau des Victimes d’Accidents Vaccinaux), UPGCS (Union Prévention Gestion des Crises Sanitaires), Vivre Sans Thyroïde
Avec le soutien de :
Collectif Anti-Sanofric, CGT Sanofi, Médicament-Bien-Commun, Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, Vérité sur les médicaments, Sud Chimie Sanofi Montpellier, Jean-Jacques Bourguignon (père d’une enfant victime du Gardasil), Jacques Dussart (historien/réalisateur), Quentin Ravelli (Chercheur CNRS).
Voir la tribune sur le blog Mediapart de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament
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