Le Monde – 3 novembre 2012
Vaccins : l’aluminium est-il néfaste ?
La vaccination sauve des millions de vies. Mais un adjuvant répandu est soupçonné d’engendrer divers syndromes chez des personnes ayant un profil génétique particulier.
Douleurs musculaires parfois intenses, troubles cognitifs, fatigue profonde et invalidante que le sommeil ne parvient pas à réparer… A quoi s’ajoute le désarroi de ne pas comprendre. Voici les principaux symptômes associés à une « nouvelle entité » pathologique qu’un groupe de médecins conduits par Romain Gherardi (hôpital Henri-Mondor, Inserm, université Paris-Est) et Michelle Coquet (hôpital Pellegrin, à Bordeaux) décrivaient, en août1998, dans « The Lancet ». A l’époque, cette affection d’origine inconnue, baptisée myofasciite à macrophages, reposait sur des observations menées sur une petite vingtaine d’individus. Depuis, la cohorte du centre de référence des maladies neuromusculaires de l’hôpital Henri- Mondor (Créteil) a grandi, avec près de 600 patients suivis aujourd’hui.
Au sein de la petite communauté de chercheurs et de praticiens qui travaillent sur le sujet, un consensus émerge: la myofasciite à macrophages serait provoquée par l’hydroxyde d’aluminium utilisé dans la plupart des vaccins. Mais cette attribution est âprement discutée. « Aucun lien de causalité n’a été clairement démontré entre la vaccination et la myofasciite à macrophages », dit ainsi l’immunologiste Jean-François Bach, ancien membre du comité sur la sécurité des vaccins de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’épidémiologie n’a pas encore permis de trancher.
Une chose est cependant sûre. Les biopsies pratiquées dans le muscle deltoïde (c’est-à-dire sur le site des injections vaccinales) des individus atteints de ce syndrome montrent des lésions spécifiques, avec des nanocristaux d’aluminium piégés dans les macrophages – ces cellules qui participent à l’immunité en phagocytant les corps étrangers ou les débris de cellules mortes. Chez l’écrasante majorité des individus, ces lésions persistent quelques jours à quelques semaines après la vaccination, mais chez les personnes atteintes de myofasciite, elles persistent de très nombreuses années.
Les adjuvants vaccinaux à l’aluminium sont utilisés depuis presque un siècle. Ils permettent de créer une réponse immunitaire sans laquelle le vaccin serait inefficace mais sont, ces dernières années, au centre de polémiques récurrentes. En mars, un groupe de députés a même proposé un moratoire sur l’aluminium vaccinal…
Pour Romain Gherardi, le lien fait peu de doute entre ces adjuvants et le syndrome qu’il a contribué à identifier en 1998 :
« Ce que devient l’aluminium vaccinal dans l’organisme n’a presque pas été étudié : tout repose sur le postulat qu’il se dissout dans le liquide interstitiel avant d’être évacué, dit-il. En réalité, les seules expériences ont été faites sur deux lapins pendant vingt-huit jours publiées en 1997 dans la revue Vaccine. Ces résultats ont été extrapolés à l’homme, sans aucune étude sur le long terme. »
Les observations menées sur les personnes atteintes de myofasciite suggèrent que les sels d’aluminium ne se dissolvent pas spontanément mais qu’ils sont phagocytés par les macrophages. Chez la plus grande part de la population, ces cellules-éboueurs engloberaient ces nanocristaux d’aluminium et les soumettraient à une acidité suffisante pour les solubiliser, permettant ainsi à l’organisme de s’en débarrasser plus ou moins rapidement. « Mais, sur certains terrains génétiques, les macrophages qui piègent l’aluminium ne parviennent pas à “finir le travail”, assure M.Gherardi. Or, tant qu’un macrophage n’est pas parvenu à se débarrasser de la particule qu’il a phagocytée, il devient immortel. Il rejoint la circulation sanguine et a une probabilité accrue de passer la barrière hémato-encéphalique pour se retrouver stocké dans le cerveau, dont il ne ressortira pas. »
Cette persistance des particules d’aluminium dans les cellules immunitaires disséminées dans l’organisme provoquerait une réaction inflammatoire chronique responsable de douleurs musculaires et de troubles cognitifs, signant l’exposition accrue des tissus nerveux à l’aluminium. Ce tableau serait donc celui de la myofasciite à macrophages. Combien de personnes seraient effectivement touchées ? « Impossible de le savoir précisément », dit M.Gherardi.
Pour M.Bach, rien de cela n’est démontré. « Il est indéniable qu’une petite part de l’aluminium qui entre dans l’organisme pénètre dans le cerveau, précise l’immunologiste, mais ce sont des quantités minimes… Une dose de vaccin contient moins d’aluminium que ce que nous ingérons par voie alimentaire. » Ce à quoi M.Gherardi répond que l’aluminium particulaire ingéré n’a que très peu de chances de finir sous cette forme dans la circulation sanguine, au contraire de celui qui est injecté.
Le débat est vif : l’expression d’un débat scientifique sur des risques possibles de la vaccination pour une petite fraction des individus pourrait en détourner le plus grand nombre, exposant du même coup l’ensemble de la population à des dangers bien plus grands. La question ouvre en outre de nouveaux champs de recherche. En 2011, l’immunologiste Yehuda Shoenfeld, professeur à l’université de Tel-Aviv (Israël), a proposé dans « Journal of Auto immunity » de rassembler une série de pathologies sans lien apparent sous le terme de syndrome auto-immunitaire induit par des adjuvants (ASIA en anglais). Avec, au côté de la myofasciite, le syndrome de la guerre du Golfe, attribué par plusieurs chercheurs aux nombreux vaccins adjuvés à l’aluminium ou au squalène. Ce syndrome est lui aussi caractérisé par une fatigue intense, des troubles cognitifs, des douleurs musculaires et articulaires chroniques…
« Une grande part de ce qui est rassemblé dans cet article est complètement spéculatif », dit M.Bach. Consulté par Le Monde, un immunologiste français, étranger à la controverse, juge aussi sévèrement l’article, estimant que « l’auteur fait de la communication en tirant des analogies sans rien expliquer ». En moins de dix-huit mois, le papier de M. Shoenfeld a cependant été cité dans plus de cinquante travaux ultérieurs.
Une autre pathologie – le syndrome de fatigue chronique (SFC), ou encéphalopathie myalgique – touche aux Etats-Unis environ un million de personnes et est, elle aussi, caractérisée par le même type de troubles. En 2009, la communauté scientifique avait suivi la piste infectieuse pour l’expliquer. Mais l’affaire s’est soldée fin 2011 par un fiasco – le rétrovirus suspecté, le XMRV (xenotropicmurine leukemia virus-related virus), s’étant révélé être une chimère accidentellement créée en laboratoire.
Ces délais rendent difficile, lors d’une simple consultation, l’attribution du syndrome à la vaccination. De manière analogue, selon M. Gherardi, les premiers signes de la myofasciite peuvent apparaître « jusqu’à un an après la dernière injection ». Autre obstacle à une meilleure compréhension de ces maladies nouvellement identifiées: les techniques de diagnostic, qui varient suivant les pays. « En France, nous pratiquons les biopsies musculaires dans le muscle deltoïde, c’est-à-dire là où sont injectés les vaccins, explique M. Gherardi. Alors que, dans les pays anglo-saxons, ces biopsies sont pratiquées loin du site d’injection, dans le biceps, où l’on ne voit pas les lésions… »
Enfin, et pour éviter toute récupération de son travail, M. Shoenfeld veut conclure en rappelant que « la vaccination est ce que la médecine a donné de meilleur à l’humanité au cours des trois derniers siècles ». Les entreprises pharmaceutiques sont elles aussi prudentes. Contacté par « Le Monde », Sanofi-Pasteur dit ne pas avoir de « porte-parole disponible » pour s’exprimer sur la question et renvoie vers Les Entreprises du médicament (LEEM), le syndicat du secteur. Qui lui-même renvoie vers le dernier rapport sur le sujet de l’Académie de médecine selon lequel « l’analyse des conditions nécessaires à la provocation d’une maladie auto-immune n’apporte aucune preuve à ce jour permettant d’incriminer les vaccins ou les adjuvants ».
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Un projet d’étude non financé fait polémique
Après une lettre ouverte à la ministre française de la santé à la mi-octobre, soutenue par les eurodéputées Corinne Lepage et Michèle Rivasi, l’association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M) ne relâche pas la pression. Elle devrait tenir courant novembre une conférence de presse en association avec des scientifiques, des parlementaires et des responsables d’autres associations pour attirer l’attention sur le peu de fonds publics attribués à la recherche sur les adjuvants vaccinaux.
Pour les chercheurs et les praticiens français qui, les premiers, l’ont décrite en 1998, la myofasciite à macrophages est en effet une conséquence des adjuvants aluminiques utilisés dans la majorité des vaccins–hypothèse qui demeure controversée.
L’ire d’E3M est suscitée par l’échec subi par les demandes de financements des chercheurs de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil), notamment destinés à mieux comprendre les mécanismes de transport de l’aluminium vaccinal dans l’organisme. Ce projet, porté par Romain Gherardi (hôpital Henri-Mondor, Inserm, université Paris-XII), n’a pas été retenu par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) au terme de son premier appel d’offres, clos le 6septembre.
« Nous avons reçu 116 demandes de financement qui ont été examinées par des experts anonymes puis par un jury indépendant, explique Dominique Maraninchi, directeur général de l’ANSM. L’appel d’offres a été très compétitif et il arrive que de bons projets ne soient pas financés par ce biais. » Plus de 90% des demandes ont ainsi été rejetées. « Cependant, nous marquons de la considération pour la question posée, ajoute M. Maraninchi, et l’ANSM financera, sur fonds propres et de manière indépendante de l’industrie, plusieurs études sur le sujet. »
Avec quels laboratoires ? Pour E3M, c’est toute la question. L’association redoute ainsi que l’ANSM ne fasse « repartir la recherche de zéro, avec de nouveaux chercheurs », sans associer ceux qui travaillent depuis dix ans sur la fameuse maladie…
Stéphane Foucart
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